2005/10/08

George W Bush sur la définition du courage et de la lâcheté

"Ben Laden déclare que sa mission est de dire aux musulmans ce qui est bon pour eux et ce qui ne l'est pas. Cet homme né dans la richesse et les privilèges considère bon pour les musulmans pauvres de devenir des tueurs et des kamikazes. Il leur promet que c'est le chemin du paradis, mais il n'a jamais proposé de le prendre."
Ainsi s'est exprimé le président des États-Unis, jeudi 6 octobre, devant le National Endowment for Democracy (Fondation nationale pour la démocratie). Eric Leser dans Le Monde:
"Contre un tel ennemi, il n'y a qu'une seule réponse efficace. Nous ne devons jamais reculer, jamais abandonner et ne jamais accepter autre chose qu'une victoire totale." Afin de retrouver l'image du commandant en chef résolu, qui lui a permis d'être réélu il y a moins d'un an, et de contrer l'opposition grandissante, y compris au sein de son parti, au maintien des troupes américaines en Irak, George Bush a prononcé … son discours le plus argumenté et le plus sévère contre l'islamisme radical.

… Evoquant au moins dix attentats déjoués dans le monde depuis le 11 septembre 2001 dont trois aux Etats-Unis et les récentes attaques à Londres, Charm el-Cheikh et Bali, le président des Etats-Unis a mis en garde contre "un ensemble de croyances qui sont mauvaises mais pas folles". Selon lui, l'islamisme radical est soutenu par des "éléments dans les médias arabes qui incitent à la haine et à l'antisémitisme". Ceux qui "l'aident et lui facilitent la tâche" ont été "abrités par des régimes autoritaires, alliés de circonstances, comme la Syrie et l'Iran, qui partagent l'objectif de faire du mal à l'Amérique et aux régimes musulmans modérés et utilise la propagande terroriste pour reprocher leurs propres échecs à l'Occident, l'Amérique et aux juifs."

Le sujet central du discours était l'Irak, et la dénonciation du terrorisme islamiste sert de principal argument pour convaincre de la nécessité de continuer le combat dans ce pays. A quelques jours du référendum du 15 octobre sur la Constitution irakienne et avec des sondages au plus bas aux Etats-Unis ­ seulement 32 % des Américains approuvant la façon dont la guerre est menée , George Bush cherche à redevenir crédible. Il a répété que l'Irak était pour "les terroristes le front principal de la guerre contre l'humanité. Ils croient, en contrôlant ce pays, qu'ils pourront rallier les masses musulmanes et leur permettre de renverser les gouvernements modérés de la région et établir un empire islamique de l'Espagne à l'Indonésie. Après chaque attentat au hasard, après chaque enterrement d'un enfant, il devient plus clair que les extrémistes ne sont pas des patriotes ou des résistants. Ce sont des meurtriers en guerre avec le peuple irakien lui-même."

M. Bush a même répondu directement à Abou Moussab Al-Zarkaoui, le numéro un d'Al-Qaida en Irak, et à ses propos sur les Américains, "les plus lâches des créatures de Dieu". "Soyons clair, a rétorqué George Bush. La lâcheté est de chercher à tuer des enfants et des personnes âgées avec des voitures piégées, de couper la gorge d'un captif attaché et de viser les croyants à la sortie d'une mosquée. Mais le courage est de libérer plus de 50 millions de personnes."

Le président a cherché aussi à répondre à ceux qui estiment que la présence militaire américaine en Irak alimente le terrorisme. Il a rappelé qu'aucun soldat américain ne se trouvait dans ce pays le 11 septembre 2001 au moment des attaques contre New York et Washington. Il a aussi souligné que la Russie, opposée à l'invasion, a subi en 2004 une attaque à Beslan au cours de laquelle plus de 300 enfants ont été tués.

M. Bush s'en est pris enfin aux opposants à la guerre, aux Etats-Unis, qui préfèrent, d'après lui, la facilité. "Il y a toujours la tentation au milieu d'une longue lutte de chercher une vie tranquille, d'échapper à ses devoirs et aux problèmes du monde et d'espérer que l'ennemi se lasse du fanatisme et des meurtres. Nous allons conserver notre sang-froid et remporter cette victoire." …

2005/10/05

Les réflexions, absurdes — "c'est mieux comme ça" — ou abjectes — "on devrait euthanasier les dépressifs"

Chaque année, plus de 10 000 personnes mettent fin à leurs jours en France ; 2 000 ont moins de 34 ans, 600 moins de 24
écrit Benoît Hopquin.
Dans cette catégorie d'âge, le suicide est la deuxième cause de mortalité, après les accidents de voiture. Le nombre de décès diminue légèrement depuis 1986.

L'amélioration des techniques d'urgence explique en partie cette baisse. "Nous intervenons plus vite et mieux" , affirme Jean-Yves Bassetti, médecin colonel des pompiers. Selon lui, les médicaments ont aussi une toxicité moindre, même utilisés à haute dose. Dans l'Aude, où il travaille, M. Bassetti assure qu'il ne se passe pas une journée sans qu'une équipe soit appelée pour de tels cas. Les tentatives de suicide grimpent en flèche, surtout chez les jeunes. Le chiffre officiel, 50 000 chez les moins de 24 ans, semble au-dessous de la réalité. Selon une étude épidémiologique conduite en Gironde en 2001, 7 % des élèves affirment avoir effectué une tentative qui, dans 9 cas sur 10, n'a fait l'objet d'aucun suivi. Le passage à l'acte est, en outre, de plus en plus précoce. En 2000, un enfant de moins de 10 ans s'est donné la mort.

… Elle dépeint "des parents abandonnés à eux-mêmes", plongés dans une immense solitude. Les amis qui s'éloignent, "parce qu'on ne peut passer son temps à remonter le moral" , ou qu'on éloigne, parce qu'on n'a plus rien en commun. Et puis les réflexions, absurdes ­ "c'est mieux comme ça" ­ ou abjectes ­ "on devrait euthanasier les dépressifs." La mère de Solène exprime sa colère contre une société qui n'a pas totalement levé le tabou sur le suicide. On n'en est plus à refuser les obsèques religieuses aux morts outrageants. Mais les mentalités sont encore dans le déni. Ainsi ce professeur de Solène, prenant à témoin une autre élève, atteinte d'un cancer : "Elle, au moins, elle se bat." "Preuve qu'il y a toujours les maladies nobles et les maladies honteuses" , constate la mère.

… La majorité des suicides surviennent au domicile familial, renforçant la culpabilité qui torture les parents, et que la société les laisse assumer seuls. Les "histoires de famille" ne sont pourtant pas toujours à l'origine du geste fatal.

… On le lui reprochera. "Il paraît que ça ne se fait pas" de révéler publiquement le suicide d'un fils. Mme Ferrand dénonce à présent un système psychiatrique qui n'a pas su comprendre la douleur de son enfant. … "Les médicaments éteignaient la flamme au lieu de la rallumer." Elle dénonce l'isolement, l'"absence d'écoute", "le manque d'humilité des psys", leur volonté de la tenir à l'écart.

… Policiers et urgentistes ont souvent appris, par empirisme, à trouver les mots, et à interdire la scène aux familles. …

… En 1991, Mme Hannier a créé l'association Phare, avec un double objectif : accompagner les familles endeuillées et aider les adolescents en difficulté et leurs parents. La structure a un numéro d'appel, le 0810-810-987. Elle organise chaque mois des groupes de parole.

2005/10/02

L'Europe s'est retrouvée dans une position humiliante, un régime totalitaire lui donnant une leçon de libre-échange

Il y a deux raisons pour lesquelles l'élaboration d'une politique étrangère européenne commune s'est révélée beaucoup plus difficile qu'attendu
écrit Chris Patten.
La première se nomme Jacques Chirac et la seconde Gerhard Schröder. Cela est particulièrement vrai pour les relations que l'Europe entretient avec les Etats-Unis, la Russie et la Chine.

Si les dirigeants français et allemands ont eu raison de s'opposer à l'invasion de l'Irak menée par les Etats-Unis, leur attitude dans l'ensemble, entre rivalité improbable et servilité obséquieuse, a rendu difficile la construction de relations avec Washington sur des bases indépendantes.

Au sujet de la Russie, M. Schröder, le chancelier allemand, a semblé se mettre en avant, fasciné par la maîtrise de la langue allemande du président Vladimir Poutine ˇ – acquise, il n'est pas inutile de le rappeler, dans l'objectif d'espionner l'Allemagne – ˇ et attiré par les ressources énergétiques contrôlées par Moscou. Les sensibilités et les intérêts de la Pologne, de l'Ukraine et des Etats baltes ont été ignorés.

Bien sûr, l'Europe a besoin de ces ressources russes mais la Russie a, elle-même, besoin de vendre du pétrole et du gaz à ses voisins occidentaux. Elle n'a que peu d'autres choses précieuses à offrir à l'Union européenne (UE). En revanche, on ne peut oublier que Moscou cherche à se bâtir une sphère d'influence autour de ses frontières, avec des alliés affaiblis. La France et l'Allemagne sont-elles heureuses de ce qui se passe, par exemple, dans le sud du Caucase, en Moldavie et dans les républiques d'Asie centrale ?

Les dirigeants européens évoquent des valeurs qu'ils partagent avec la Russie, alors que celle-ci ˇ – où liberté d'expression et démocratie sont en repli – ˇ serait justement l'endroit idéal pour commencer à défendre ces valeurs.

Mais c'est avec la Chine qu'il y a eu probablement le plus de dégâts. Contrairement à de nombreux stratèges américains, les Européens n'ont pas considéré l'ascension de la Chine comme une menace, même si cette dynamique est une véritable accélération du cours de l'histoire.

… Quant au nationalisme croissant de Pékin, il pourrait devenir inquiétant s'il venait à échapper à tout contrôle, comme cela s'est produit pour le Japon dans les années 1930. … l'Union européenne a fait tant d'efforts pour faire entrer la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce et discuté avec Pékin des conséquences de la fin du protectionnisme des pays riches face au textile. C'est aussi pour cela que nous avons insisté en faveur d'un dialogue à propos des droits de l'homme.

Cette stratégie réfléchie a échoué en raison de deux événements. Premièrement, la gestion lamentablement incompétente de l'embargo de l'UE sur les armes mis en place après les massacres de Tiananmen, en 1989. La position européenne était alors claire. Elle liait officieusement l'embargo aux progrès en matière de droits de l'homme, ce qui renvoyait essentiellement à la ratification et à la signature de la Convention sur les droits civiques et politiques des Nations unies (ONU). M. Chirac et M. Schröder ont sonné le glas de cette politique : le premier pour obtenir davantage de sourires de la part du président Hu Jintao lors de sa première visite officielle à Paris ; le second en croyant bêtement que les Chinois étaient différents des autres dès lors qu'il s'agissait de faire des affaires et qu'ils achèteraient du matériel ferroviaire allemand si Berlin se mettait au diapason de Pékin.

C'est alors que les Etats-Unis ont tapé du poing sur la table en soutenant, ce qui n'avait rien d'incongru, qu'ils méritaient, au moins, d'être consultés quant à un tel changement de politique. Sans compter qu'une bonne part de l'industrie de l'armement européenne est dépendante du savoir-faire américain ou des ventes aux Etats-Unis. Au bout de quelques mois, l'Europe est donc rentrée dans le rang. Elle est revenue à sa position de départ, celle d'avant cette équipée embarrassante – non sans perdre de la crédibilité, à Washington, et la face, en Chine.

… [L'acord des mesures protectionnistes afin de bloquer les exportations chinoises bon marché] a été salué par le premier ministre français, Dominique de Villepin, comme un grand moment pour l'Europe. En vérité, c'est tout l'inverse d'un grand moment. Le message a été donné aux Chinois que nous privilégiions les règles de la négociation pour la gestion des politiques économiques uniquement lorsqu'elles nous convenaient. Une fois qu'elles se révélaient inadaptées – pénalisant, dans le cas présent, les entrepreneurs qui n'avaient pas réussi à restructurer leur entreprise –, nous pouvions décider unilatéralement de les abandonner. L'Europe s'est donc retrouvée dans une position humiliante, un régime totalitaire lui donnant une leçon de libre-échange.

Il nous faut maintenant ramasser les morceaux et tenter de reconstruire une stratégie cohérente. Prions pour que le type de diplomatie pratiquée par les dirigeants français et allemands ne façonne pas nos futures approches de la question.