2004/09/28

"Les gens avec qui je discutais n'étaient jamais allés voir Fox News ; ils basaient leur attitude exclusivement sur ce qu'on leur avait appris…"

Stéphane analyse
la façon dont la propagande fonctionne en tant que système. Les préoccupations qui agitent les penseurs autour des médias s'orientent davantage vers la profusion de l'information — perçue comme un effet négatif — que vers sa qualité. Pourquoi s'inquiètent-ils autant de la profusion et si peu de la qualité? C'est que les deux termes ont une signification particulière dans leur vocabulaire.

Ce que les intellectuels … dénigrent en parlant de profusion d'information, c'est l'information incontrôlée. Il faut voir dans ce qu'ils appelle l'information de qualité une information convenablement éditée, commentée, mise en forme, avec les bons enseignements qu'il faut en tirer, les conclusions amenées sur leur tapis rouge. Cette obsession de l'analyse est typique d'une caste d'intellectuels qui justifie son existence: c'est leur rôle de déduire et de commenter l'information brute, jamais, ô grand jamais, celui de l'auditeur. Tout au plus peut-on l'amener en lui tenant la main le long du chemin prévu pour lui, afin qu'il fasse le dernier petit pas.

Cette explication permet aisément de comprendre pourquoi "qualité" et volume s'excluent mutuellement. La mise en forme, que d'autres appelleraient manipulation ou désinformation, requiert temps et attention. C'est donc incompatible avec une information immédiate et disponible à travers de multiples sources non contrôlées. Ces dernières se contentent d'ailleurs le plus souvent de recopier les dépêches des agences.

Pour que le système fonctionne correctement, il faut neutraliser toute nouvelle source crédible qui ne participe pas de la même "ligne éditoriale". Lorsqu'un challenger apparaît dans une chasse gardée comme la presse écrite ou la télévision, la réaction est immédiate et totale. L'objectif de cette réaction n'est pas tant de couper l'accès du nouveau venu aux auditeurs que de le décrédibiliser complètement à leurs yeux, de l'isoler et de le tourner en ridicule afin de réduire et de marginaliser son audience.

Le cas de Fox News nous donne un exemple édifiant de l'ampleur du phénomène et de son fonctionnement. …

…bizarrement, tous les médias de France abordèrent le sujet Fox News comme un seul homme pour en dire la même chose: il-ne-fallait-pas-regarder-cette-chaîne. Tout en dévoilant son existence, il s'agissait surtout de la présenter immédiatement comme un média marionnette du gouvernement américain, à la botte de George W. Bush, donnant des informations déformées à l'extrême et souffrant d'un biais que même la Pravda n'osait afficher au plus fort de l'époque soviétique. Rien que ça! Tous ceux qui osaient la regarder étaient naturellement des crétins, des introvertis et des abrutis à divers degrés.

Je ne sais pas pourquoi les médias se mirent à tirer à boulets rouges avec une telle synchronisation. … Les auditeurs français furent appelés à se méfier de Fox News et à considérer tout ce qui en sortait comme des mensonges sans même l'avoir vue une seule fois de leurs propres yeux.

L'objectif fut atteint au-delà de toutes les espérances, j'eus l'occasion d'en faire l'expérience. …

Plusieurs de mes interlocuteurs me rétorquèrent sèchement qu'il n'était pas question de suivre [un hyperlien vers Fox News]. Ils refusaient de télécharger [la présentation texto de Colin Powell à l'ONU, un dossier factuel entièrement neutre de toute ligne éditoriale, quelle qu'elle soit] pour la lire, parce qu'elle provenait du site de Fox News. J'eus plusieurs retours dans ce style, venant de personnes qui ne se connaissaient pas entre elles.

Fox News était dans leur esprit un réseau tellement indigne de confiance qu'il n'était pas concevable d'y aller ne serait-ce que pour en ramener un fichier informatique! Un tel aveuglement volontaire est spectaculaire. Je suppose que même le service de météo de la chaîne devait être "inféodé à George W. Bush et aux industries pétrolières".

J'eus la confirmation de vive voix que les gens avec qui je discutais n'étaient jamais — ô grand jamais! — allé voir cette chaîne pas plus que son site; ils basaient leur attitude exclusivement sur ce qu'on leur avait appris, bien incapables qu'ils étaient de me citer un seul exemple concret qui appuie leur ostracisme délirant. Fox News était victime de sa mauvaise réputation, une mauvaise réputation totalement artificielle et installée à dessein.

Quand je demandais leurs raisons, ils me récitèrent leur catéchisme: "on sait bien que Fox News appuie le gouvernement Bush", "on sait parfaitement qu'ils manipulent l'information", "tout le monde sait qu'ils ne livrent qu'un tissu de mensonges."

Devinez d'où sort ce "on", d'où provient cette soudaine sagesse populaire implacable et définitive.

Certains de ces arguments ont l'apparence du vraisemblable sans pour autant être scandaleux: après tout, rien n'empêche une chaîne pro-gouvernementale d'exister, ce n'est pas un crime.

Mais c'est en prenant du recul que chacun peut s'apercevoir de leur mauvaise foi totale. Jamais un discours aussi extrémiste ne sera tenu face à d'autres médias étrangers biaisés d'une façon qui sied aux médias français. Si vous avez jamais entendu du mal d'Al-Jazeera, ce sera sans proportion avec ce que reçoit la chaîne américaine.

L'argument d'une chaîne indigne parce qu'inféodée à un gouvernement ne tient pas debout, lorsque cet argument sort de la bouche d'un spectateur régulier de France2 et France3 — chaînes d'autant plus soumises au pouvoir qu'elles sont carrément nationalisées. …

(Lire le post en son entièreté…)

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